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Silent Lines



Exposition de peintures et gravures à la Galerie du Buisson, Paris, 20 mars - 20 juin 2010

Chaque nouvelle exposition de la galerie du Buisson est pour moi l´occasion de prolonger une réflexion critique, et c´est à l´occasion de la présentation des travaux de David Maes, Silent Lines, que je m´essaye à la verbaliser, tout en étant consciente des limites de l´exercice, car, pour reprendre Theodor Adorno dans son ouvrage la théorie esthétique, dans notre monde "post-moderne" : il est devenu évident que tout ce qui concerne l’art, tant en lui-même que dans sa relation au tout, ne va plus de soi, pas même son droit à l’existence. A l´opposé d'Adorno, j´oserais dire que jamais nous n´avons eu autant besoin de l´art, non dans ses formes dégradées assujetties au marché et aux logiques du profit qui dominent actuellement, mais de l´art en tant que force vitale capable de nous rappeler à notre nature intérieure, capable d´éveiller en nous des modalités de perception du réel qui nous amènent à un changement radical de "point de vue".

Le contenu de cette expérience spécifique qu´est la réception du travail d´un artiste par un spectateur est toujours délicat à mettre en mots . Sans doute parce que l´art tire sa nécessité des manques du langage: les dimensions que les oeuvres d´art font résonner en nous échappent en grande partie au dire et se situent dans le sentir. Louise Bourgeois à qui on demandait de parler de son travail, eut cette réponse : si je pouvais en parler, je ne créerais pas. Certes, mais notre sentir est indubitablement structuré par le langage et en cela, l'oeuvre d´art est également "cosa mentale", produit de l´esprit et de l´imagination, au croisement entre deux singularités, deux "subjectivités". C´est le regard qui crée le tableau, la rencontre se fait quelque part en notre fors intérieur et restituer en mots la coloration, la "vibration" particulière de l´expérience esthétique tient forcément du paradoxe, car quelque chose s´est joué en dehors des mots, dans un échange purement sensuel, dans un "corps à corps" médiatisé par le support matériel de l´oeuvre.

Les lignes de David Maes, à la fois fragiles et fermes, immobiles et dansantes, me font penser à l´art de la calligraphie orientale, où le trait subsume l´état méditatif de celui qui le trace. Dans la voie taoiste, la calligraphie, alliée aux arts de la médecine et aux arts martiaux est voie de sagesse, voie d´accès à la pure réalité, non déformée par les illusions d´un ego soumis à la pression des normes sociales. Lignes qui s'étirent sur la surface du tableau - trajectoires de vie, avec un début et une fin qui laissent pourtant penser qu´au-delà des limites imposées par le cadre, quelque chose continue à l´infini. Réseau de veines irriguant la toile, arbres, cheveux, algues flottantes, il y a quelque chose ici qui danse et célèbre la fragilité de l´existence, qui donne à voir une tension propre à l´être, les lignes se croisent et se séparent - certaines plus appuyées que d´autres, traces d´un geste tout entier concentré, griffant d´une douceur retenue la matière brute du fond coloré. A mon tour, je suis des yeux le trait, tel un fil d´Ariane, l´ inscription de ce geste, répété, de multiples fois, et toujours différent, à l´opposé du mécanisme, un geste habité, conscient, un geste que j´aimerais qualifier d´"amoureux" tant il éveille en moi une joie irraisonnable, un appel à épouser le mouvement vital - mélange subtil d´ordre et de désordre.

Toutes autres sont les gravures, chaque technique apporte sa touche particulière au travail, ici la matière se densifie, elle s´incarne, s'alourdit mais elle porte toujours en elle quelque chose de ce meme élan vital - , la matière se fait plus charnelle, plus figurative, oiseaux, poissons, foisonnement végétal, formes humaines, corps ... figures actualisées du hasard qui leur a donné naissance mais toujours, appel au mouvement, esquisse d´une danse, quelque chose se tient toujours en fragile équilibre et transmet son désir de s´échapper, de se mouvoir, d´entrer en relation. Une invitation à célébrer les forces vitales, à jouir des formes et des matières - en toute simplicité. Car s´il est une qualité aux travaux de David Maes, c´est leur simplicité, j´irais même jusqu´à parler d´évidence, qui renvoie à l´essence de ce qui fait de nous des êtres humains, fait de chair et de sang. Or la simplicité, reflet de la maîtrise, est toujours ce qu´il est le plus difficile d´atteindre. Et rares sont les artistes qui y parviennent. Remercions donc David Maes et la galerie du Buisson de nous faire partager cette simplicité le temps d´une exposition.



Isabelle Bohnke