<             >

A côté du garage ou L'atelier de David Maes



Nouvelles de l'Estampe N° 253, Hiver 2015-2016

David Maes habite Combs-la-Ville, en Seine-et-Marne, au 2 du Chemin du Moulin de Vaux la Reine. Le jeudi 9 juillet 2015 au matin, je me disais en sortant du RER que j’allais lui demander : « Alors, tu es Combien ? ». Mais ça ne marche pas, les administrés de Combs-la-Ville se nomment bêtement des Combs-la-Villais, triste époque où l’on a peur d’une plaisanterie.

David et son épouse Sylvie Cavillier habitent là depuis deux ans. Lui a beaucoup voyagé. Comme son nom l’indique, la famille est originaire des Pays-Bas. David est né au Canada d’un père hollandais, a vécu à La Haye pendant une partie de son adolescence, puis au Canada, est venu en France, parti pour la Casa Velasquez puis s’est installé à Montaren près d’Uzès (où il y a un clocher qui ressemble à la tour de Pise, en plus vertical) avec femme et enfants.

David a aménagé son atelier au premier étage de la maison (l’habitation est au second), partie attenante d’un ensemble plus vaste qui ne lui appartient pas : c’est un garage avec boxes auquel les voitures n’ont pas accès et qui est une espèce de gigantesque débarras. Le propriétaire n’y a même pas installé l’électricité. Quand on y pénètre, on se croirait dans une série policière américaine ; on s’attend à voir le FBI débarquer révolver à la main en poussant des cris inarticulés. En fait, c’est très calme, juste poussiéreux.

L’entrée de l’atelier se fait par un des boxes, le seul qui soit fermé, avec une porte basculante qu’il faut relever. On pourrait dire que le box est l’antichambre. Le passage y est étroit, entre la bicyclette de David et le vélomoteur d’Adrien, le bois de chauffage pour le poêle norvégien, des bûches d’un côté et de la sciure de bois de chêne comprimée de l’autre, une accumulation de paquets bien emballés dans du plastique, une échelle, un vieil abat-jour, des planches, une armoire en bois peinte en blanc qui contient d’autres paquets, un panier de voyage pour le chat (Paco) que j’ai vu se prélasser sur la terrasse, des étagères avec des boîtes de peintures et divers produits toxiques utiles dans un atelier d’artiste.

Une porte s’ouvre sur un autre débarras, plus petit encore, où s’accumulent, roulées et emballées dans papier kraft et plastique, tout un ensemble de peintures sur toile. Car David Maes n’est pas seulement graveur, il est aussi un peintre actif. Assez curieusement pour un artiste de notre époque, s’il peint des portraits, des arbres, des oiseaux et des poissons, ses sujets relèvent aussi parfois de la peinture d’histoire : thèmes bibliques et mythologiques : Sacrifice d’Isaac, Descente de croix, Léda et le cygne. Ainsi, quand il était à la Casa, il a peint sur une grande toile une Crucifixion, qui se trouve maintenant, après y avoir figuré dans une exposition, au Musée d’art sacré du Gard (chez les Spiripontains) dont le conservateur est Alain Girard - lequel est un ami de Jacqueline Maly (épouse de l’excellent peintre qu’est Michel Maly), qui a une galerie à Cliousclat, dans la Drôme, où j’ai vu naguère des estampes de David. Juste pour dire que le monde est petit.

Ces sujets lui ont été en partie inspirés par le travail fondamental qu’il a mené, à Montréal d’abord, sur le dessin, et spécialement le dessin de nu. Il a fait des milliers de dessins. Avant de se poser la question : qu’en faire ? David se pose beaucoup de questions.

Au retour de Madrid, il a donné des cours de dessin pour la Ville de Paris, ainsi qu’à l’Atelier de Sèvres et à l’Ecole supérieure des Arts appliqués Duperré ; il faisait venir des modèles en cachette des autorités administratives, puisque c’était toujours du dessin de nu et que la Ville refusait de payer un modèle toutes les semaines.

Deux parpaings forment une marche d’escalier fruste pour accéder au sol de béton peint en gris légèrement bleuté. L’espace fait à peu près 25 m; il est d’ailleurs à peu près carré, très simple, très dépouillé. La lumière vient du plafond, plat, en partie vitré.

Sur la gauche se trouvent de larges meubles à tiroirs, auxquels il a ajouté des roulettes (« J’ai tout mis sur roulettes », dit-il), dans lesquels il range ses estampes et ses dessins. Il m’a dit, à ma grande surprise, qu’il en avait une des miennes, d’il y a très longtemps, qui lui avait été offerte pour ses enfants par un de ses amis. Il en a bien sûr de Louis-Pierre Bougie, le fameux peintre et graveur québécois qui l’a en quelque sorte initié aux différents arts de l’estampe, l’introduisant à l’atelier Lacourière.

Il a aussi quelque part (je ne l’ai pas vue) une estampe de Goya, le n° 8 de la Tauromachie, qu’il a achetée dans un tirage de l’Academia Real de San Fernando. Il avait été très marqué par sa rencontre avec Goya lors d’une formidable, selon lui, exposition à Ottawa.

Sur ces meubles qui occupent presque tout le mur, sont posées d’autres toiles empaquetées, celles-là sur châssis, des cartons à dessins. Plus loin, des étagères supportent un peu de matériel, dont une espèce de machine qui me paraît dangereuse, une scie RYOBI, avec laquelle il fait ses encadrements et même ses meubles. David prétend détester bricoler mais est un bricoleur chevronné. Ça m’épate toujours, les artistes bricoleurs. (Quelquefois, c’est ce qu’ils font de mieux, le bricolage.) Puis un chevalet de campagne.

Sur le deuxième mur, en face de l’entrée, sous l’horloge sont punaisés des petits dessins et aquarelles représentant des plantes (il adore faire ce genre de choses, observer la nature, il aurait voulu être peintre de fleurs, me dit-il, à la hollandaise), une carte postale avec une tête de Bouddha, une du Saint François de Giotto, une photo de Matisse avec un modèle dans l’atelier, une photographie de Guy Williams en Zorro, version noir et blanc (David est un fan de Zorro).

Devant, il y a la presse à taille-douce, 70 cm de passage, l’avant-dernière presse fabriquée par Ledeuil, qu’il a pu s’offrir grâce au prix Gravix obtenu en 1991. Sur le chapiteau, une lampe d’architecte noire. Juste à côté, le plan de travail est un vrai chantier : pinces, scotch, salopin, clous, marteaux, mitaines, carnets de route et de croquis, bouts de carton, épreuves d’estampes en cours, entassées, règles, etc., le tout éclairé à gauche par une lampe d’architecte blanche et à droite par le ciel. Derrière, des casiers aménagés sont remplis des produits indispensables au travail du peintre et du graveur. Il y a aussi, en haut, toute une jolie rangée de pots de verre contenant des terres colorées venues de Roussillon, ainsi que de l’huile de lin, de la térébenthine, des pots d’acrylique, des pinceaux et des crayons dans des bocaux, des serre-joints, des encres pour la taille-douce, une pierre d’Arkansas pour affûter les pointes.

Sur le troisième mur, David a punaisé des dessins et des estampes. De gauche à droite : un grand dessin au crayon conté, daté : 18 / 12 / 84, d’un modèle féminin exécuté sans regarder le travail de la main sur la feuille de  papier (pour tenter de casser la rigidité de l’habitude) ; et c’est selon lui un moment important de son évolution, une sorte de rappel à l’ordre, ou au désordre. Au-dessus, une épreuve d’essai d’une estampe représentant un oiseau (une colombe), avec des propositions de corrections en rouge. Au-dessus encore un dessin au crayon graphite représentant un dos de femme, daté : 31 / 12 / 05 (il dessine tout le temps, alors pourquoi pas en plein réveillon du jour de l’an ?), punaisé par-dessus une grande carte de la ville de Montréal (au Québec, pas dans le Tarn) ; deux autres, au-dessus, d’une femme nue de face, l’un au crayon graphite daté : 10 08 06, l’autre à la sanguine, non daté ; des jambes croisées d’une autre pour un mouvement de danse ; puis une grande estampe verticale d’une jeune femme marchant vers la droite, datée de 2015 (il pense à réaliser une sorte de procession en une succession d’estampes : personnages et animaux).

A côté, une autre estampe d’une petite fille marchant vers la droite, précédée d’une poule étique, passant devant un mur de parpaings ; puis une autre estampe avec une jeune femme marchant vers la droite aussi, devant le même mur, épreuve retouchée au pastel ocre clair ; au-dessous, une autre épreuve de la même estampe dans un état précédent, punaisée par-dessus un dessin au lavis d’encre de Chine représentant une vue d’Afrique (David et Sylvie aiment l’Afrique, ils y ont un filleul) ; à droite encore, une estampe d’un homme nu marchant vers la droite, épreuve marquée : VI dans le bas à gauche ; au-dessous, une aquarelle avec plusieurs petits sujets : un visage, des pieds, des plantes ; puis un dessin d’un bras droit étendu ; un grand dessin, plus coloré, de danseurs en mouvement.

Contre le même mur, posées à même le sol, sont appuyées des plaques de zinc et de cuivre travaillées. Devant, une petite table (avec des roulettes) supporte des bidons de Miror et des chiffons de tarlatane noircis d’encre. D’autres plaques gravées sont posées contre cette table.

Sur le dernier mur est suspendu un évier, au-dessus duquel est accroché un miroir. La table de chauffe se trouve à côté, avec White spirit (elle est froide en ce moment), boîtes d’encre, tarlatane, couteaux, spatules, salopin ; au-dessous, des tiroirs, un étau qui ne serre rien, des flacons de White spirit et de médium pour l’acrylique. Par terre, deux seaux de peinture « climats extrêmes », un lampadaire pour halogène ; et une table formée d’une planche sur deux tréteaux, sur laquelle David a posé, pour me les montrer, des dessins et des estampes.

Sur le mur derrière sont fixés divers dessins montrant différents portraits, dont celui du père de David, décédé il y a peu, une grande aquarelle sur un leporello avec une vue d’une montagne, et, à la sanguine, un chien couché, qui est sans doute le portrait de Lorca, la chienne de la maison, aujourd’hui toute vieille et chenue, et dont je crains fort qu’elle ne puisse pas lire cet article.

Une phrase a été déterminante pour David, il la répétait lui-même à ses élèves, comme les autres professeurs : « Il faut dessiner tout le temps, toujours avoir avec soi un carnet de dessin ». Depuis ce moment, il ne s’est jamais déplacé sans un carnet. C’est lui qui les fabrique, avec de grandes feuilles pliées en quatre et en accordéon. Il dessine de tout, mais ce qui lui plaît le plus c’est de dessiner des gens. Il a l’idée de faire une exposition un jour, une manifestation, avec « 1000 portraits ». Il en est à 7 ou 800. Son épouse Sylvie (par ailleurs écrivain et poète) intervenant en tant que psychologue dans un centre d’accueil pour étrangers avec enfants (le SIOPI), David a eu envie de dessiner dans la salle d’attente ceux qui seraient d’accord pour poser. Et tout le monde, hommes, femmes et enfants, a été d’accord. Cela permettait d’avoir un contact différent avec les gens. David garde un souvenir ému du vernissage de l’exposition faite avec ces portraits en 2011. Il a eu l’impression, alors, que l’art servait à quelque chose.



Maxime Préaud