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David Maes, ou le regard de l'être



Aller à l’essence des êtres, c’est le fondement de l’œuvre de David Maes. Loin du quotidien, loin de l’anecdote, loin aussi du récit, l’artiste s’est engagé depuis ses débuts dans une démarche infiniment sensible qui suggère l’impalpable et crée l’émotion.


Entre imaginaire et réalité, l’artiste cherche à apprivoiser ce qu’il voit et surtout ce qu’il ressent. Autour de lui, le monde qu’il visite avec simplicité et respect semble accueillant et empreint d’une douceur latente. Il en montre parfois des arbres, des fleurs, quelques animaux, mais surtout, et c’est là l’essentiel, des hommes et des femmes dont avec une inlassable volonté, il cherche l’intime vérité


Son projet n’est pas d’en donner une illustration, mais de dire ce que chaque chose et chaque être a d’unique, qu’il s’agisse de la course sauvage d’un taureau, du doux balancement des branches d’un arbre ou de la pleine éclosion d’une fleur.


C’est encore plus vrai quand il offre au regard des hommes et des femmes habitant un univers dépouillé de tout attribut et saisis dans un moment de calme repos ou dans la dynamique de leur élan. Leur intense fragilité, leur nudité souvent, les détails de leurs corps parfois à peine esquissés témoignent paradoxalement de leur énergie et de leur force de vie : leur présence s’impose, happée parfois par la caresse du néant, mais indiscutable, sereine et victorieuse.


Les estampes, nombreuses dans ce registre, sont des sortes d’offrandes destinées au visiteur pour lui suggérer, de manière discrète et même secrète, que ces êtres, visibles dans leur simplicité quasi biblique, sont chacun infiniment précieux. Mais, et c’est là une ambiguïté assumée par l’artiste, ces corps se mouvant dans un monde indistinct et sans traits distinctifs qui autoriseraient facilement une identification, il les pense surtout comme les témoins d’une humanité transcendante et libérée.


Comme les sculptures grecques des premiers temps, à la fois anonymes et reconnaissables, les personnages de David Maes se présentent souvent de face, dans leur plénitude corporelle empreinte d’harmonie. Même s’ils ne sont qu’esquissés à grands traits, l’homme qui marche, la femme qui repose, et celle qui fait un geste de la main comme celui qui semble boire, tous, à des degrés divers, sont saisis à un instant de leur vie, précis et en même temps fondamental. De toutes ces figures se dégage une énergie qui semble sans limite, reflétant des situations à déchiffrer, par exemple, suggérant l’idée d’un envol possible pour certaines ou pour d’autres au contraire évoquant un repos apaisant, une fois les tâches ou les défis accomplis.


Chaque œuvre suscite un regard d’ensemble : dès le premier instant, en effet, l’existence de ces hommes et de ces femmes s’impose au visiteur. A première vue l’artiste ne dit rien de leur histoire.


Mais dans un deuxième temps, un détail, surgit qui accroche l’attention, modifie la perception, suscite une question et fait vibrer la sensibilité. C’est ce qu’à propos de la photographie, Barthes appelait un "punctum", un élément précis, inattendu ou difficile à percevoir au premier abord, qui constitue un repère, preuve d’une histoire personnelle, reflet d’un passé et amorce d’un avenir. Ce peut être le désordre d’une chevelure, l’orientation d’un regard, une main tendue vers un objet absent, des bras croisés… Tous ces éléments, que David Maes affectionne, ne sont pas ceux auxquels on porte immédiatement attention, puisque dans un premier temps, la vision du tout s’impose, mais se découvrant peu à peu, ils apportent, chacun à leur échelle, une preuve supplémentaire de la vie et sont les témoins discrets de la spécificité de chacun. L’image alors en devient d’autant plus troublante qu’elle n’autorise plus, une fois ce détail découvert, une vision rapide ou distraite. Et le visiteur, s’il se prend au jeu, va approfondir sa première lecture et se laisser emporter dans un double mouvement, entre l’appréciation de l’ensemble et l’attention aux détails. Démarche qui le conduit à regarder les corps dans la richesse de leurs particularités et la permanence de leur humanité.


Cette recherche s’inscrit encore plus fortement dans la réalisation de portraits, un autre registre de l’activité artistique de David Maes. Fondamental car il conduit à ce que l’artiste privilégie, la rencontre avec l’autre. Edgar Degas pour qui il a une immense admiration disait "Nous avons été créés pour se regarder, n’est ce pas". Faire un portrait n’est en rien innocent, sauf à simplement considérer qu’il faut en dessiner les caractéristiques les plus marquantes. Non, David Maes n’a jamais conçu le portrait de cette manière. il veut entrer dans l’intimité de la personne qui, sollicitée et respectée, a toujours accepté de se plier à cette exposition aux yeux de l’autre. Pourquoi ? Tout simplement pour témoigner et rendre son authenticité évidente aux yeux de tous. Il ne s’agit pas d’amour, car entre l’artiste et l’autre, la distance est indispensable. C’est elle qui permet d’aller à l’essentiel, de respecter la valeur de celui qui est regardé et de rendre attachante l’image de chaque homme et de chaque femme auprès desquels le temps s’est allongé et parfois fractionné.


Depuis ses débuts, sans relâche l’artiste a multiplié ces portraits qui forment ainsi son musée personnel et secret, ou plutôt sa compagnie d’âmes et qui sont étroitement intégrées à son aventure artistique. Chacun d’eux a une histoire, faite de la rencontre, de la parole, de la lumière du jour, et du travail d’enquête et de compréhension. En fait, tout est circonstance, à condition d’en avoir le désir. Et justement David Maes a celui d’être au plus près d’une humanité si diverse, si complexe. Impossible de prendre la mesure de cet effort car les portraits sont nombreux, différents, inclassables.


Regardons ces visages avec si possible, la même attention que celle de l’artiste qui les a dessinés. Ils nous disent des histoires différentes, certaines joyeuses, d’autres probablement tragiques, inscrites dans un moment fort et alors courtes ou épisodes d’un long parcours. Ils sont présents, là, près de nous, ces jeunes et ces plus âgés, ces femmes et ces hommes ; ceux qui manifestement vivent d’espoir et ceux qui a l’inverse sont empreints d’amertume. À nous de les accueillir à notre tour, d’imaginer les combats, les victoires, les défaites, les espoirs qui ont marqué le visage de chacun. Cette foule est par nature composite, mais leur rapprochement, au sein d’une exposition par exemple, fait éclater l’évidence de leur diversité et la complexité de leur humanité. Leur message est finalement réconfortant dans la mesure où s’affirme sans ambages une sorte d’égalité entre chacun.


Reste une question. Comment se construit le travail de David Maes ? Pour lui, le dessin de ce qui l’entoure est une nécessité, un réconfort, une porte ouverte sur la suite de son travail, mais il ne le conçoit pas comme une description, il veut au contraire s’en servir pour susciter sa rêverie et son imaginaire. Il fait de ces exercices répétés et quotidiens, la pierre de taille sur laquelle s’appuyer et se déployer.


Vient ensuite la gravure, généralement exécutée avec une seule et unique techniques : la pointe sèche. Ce qui donne à son œuvre une véritable unité. On reconnaît immédiatement une œuvre de David Maes sans avoir à en lire l’étiquette.


Avec une technique éblouissante il arrive à aborder toutes les gammes des gris du noir au blanc sans autre artifice que son talent de dessinateur. Le chemin de la mine de plomb est le même que celui de la pointe qui attaque le cuivre ou le zinc.


Aujourd’hui l’artiste travaille sur de très grandes gravures en diptyque ou triptyque qui représentent des portraits dans un paysage. L’eau, le végétal et l’humain entrent en écho l’un avec l’autre dans une démarche aussi puissante qu’émouvante.



Christine Moissinac
Pour "La Nouvelle Cigale Uzégeoise", N° 18, décembre 2018